Les pouvoirs du ministre de la santé en matière de vaccination obligatoire
Commentaire de Conseil d’Etat, 8 février 2017, M. B., req. n° 397151
Résumé :
Le ministre de la santé doit utiliser ses pouvoirs afin de permettre la mise à disposition du public des vaccins permettant de satisfaire aux seules vaccinations obligatoires.
Explications :
Le code de la santé publique (articles L. 3111-2 et L. 3111-3) impose pour les jeunes enfants trois vaccinations et trois seulement (antidiphtérique, antitétanique et antipoliomyélitique). La difficulté est que, depuis plusieurs années, il n’existe plus en France de vaccin avec ces seules trois souches. Le vaccin le plus fréquent est un vaccin hexavalent qui comporte trois souches supplémentaires.
Les parents, afin de respecter l’obligation vaccinale, sont donc contraints de faire injecter trois souches supplémentaires à leur enfant. La sécurité sociale, de son côté, est exposée à un remboursement plus élevé.
La difficulté juridique était de contraindre les laboratoires à ne pas imposer en fait ce que le code de la santé publique n’impose pas en droit. Il ne pouvait ni leur être reproché de ne pas mettre sur le marché les vaccins obligatoires ni de commercialiser un vaccin non autorisé.
L’astuce des opposants à cette vaccination supplémentaire aura été d’agir contre le ministre de la santé en lui demandant de prendre « les mesures permettant de rendre disponibles des vaccins correspondant aux seules vaccinations obligatoires » et non directement contre les laboratoires pharmaceutiques. Il s’agissait ainsi de contraindre les pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités en les forçant à utiliser les pouvoirs que la loi leur donne.
Dans son arrêt, le Conseil d’Etat a écarté les moyens tenant à la violation de l’article 5 de la Charte de l’environnement et au risque d’atteinte à l’intégrité de la personne. Mais il a relevé que « les articles L. 3111-2 et L. 3111-3 du code de la santé publique impliquent nécessairement que les personnes tenues à l’exécution des trois obligations vaccinales prévues par ces dispositions (antidiphtérique, antitétanique et antipoliomyélitique) soient mises à même d’y satisfaire sans être contraintes, de ce seul fait, de soumettre leur enfant à d’autres vaccinations que celles imposées par le législateur et auxquelles elles n’auraient pas consenti librement ».
Le « impliquent nécessairement » ne manque pas d’intérêt. Il n’allait pas de soi. Il constitue la manifestation d’un imperatoria brevitas qui fait tout l’intérêt de la jurisprudence. On peut cependant être un peu déçu et regretter que le Conseil d’Etat n’ait pas tenté, pas osé ou pas réussi, une conceptualisation de cette règle selon laquelle, finalement, nul ne devrait être contraint à un comportement qui n’est pas obligatoire, règle que l’on peut faire découler du principe de liberté individuelle. Si en droit cette règle va de soi, elle est plus difficile à poser en fait.
Encore fallait-il pouvoir reprocher cette situation de fait au ministre de la santé. Le Conseil d’Etat fait le lien entre le fait et le droit en rappelant les pouvoirs dont le ministre dispose vis-à-vis de l’offre pharmaceutique (gestion des pénuries, pouvoir de sanction des laboratoires, régime de la licence d’office, pouvoir de substitution de l’Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires). Le ministre de la santé pouvait exercer des pouvoirs. Il ne l’a pas fait. Le Conseil d’Etat estime que c’est à tort, ce qui revient à considérer qu’il devait les exercer. Cette abstention fautive entraîne l’annulation contentieuse de la décision du ministre de la santé rejetant la demande des requérants.
Le Conseil d’Etat assortit cette annulation d’une mesure d’injonction en considérant que le ministre de la santé doit prendre dans un délai de six mois « des mesures ou saisisse les autorités compétentes en vue de l’adoption de mesures destinées à permettre la disponibilité de vaccins correspondant aux seules obligations de vaccinations antidiphtérique, antitétanique et antipoliomyélitique ». Ainsi, de l’abstention fautive du ministre de la santé, doit découler pour lui une obligation d’agir.
Le Conseil d’Etat tire ainsi de la contrainte limitée en matière de vaccination obligatoire une obligation pour le ministre de la santé de prendre les mesures nécessaires afin de ne pas forcer les parents à aller au-delà des obligations vaccinales.
Benoît JORION
Avocat à la Cour d’appel de Paris
Spécialiste en droit public