Contrôle du bilan – bilan négatif
Prolongation d’une route départementale à Grasse, coût financier et atteinte au paysage : « Il ressort des pièces du dossier que le projet vise à créer un boulevard urbain dans le prolongement de la RD 6185 existante pour désengorger le secteur des Quatre chemins et les quartiers de Saint-Antoine, Saint-Jacques, Loubonnières et Villote, qui supportent un important trafic à destination des axes structurants de la ville (RD 6185, la RD 9 et la RD 2562). L’opération envisagée, qui tend à capter le trafic en provenance du Tignet, de Peymeinade et des quartiers ouest de Grasse à destination de l’est et du sud de la commune, d’améliorer le transit entre 1’extérieur de la ville et le centre de Grasse en libérant de la capacité sur le secteur des Quatre chemins et ses voies attenantes, de faciliter les échanges inter-quartiers, de renforcer la desserte locale et d’améliorer la sécurité sur le secteur en délestant les voies transversales fortement empruntées, répond à un objectif d’intérêt général.
9. Cependant, en premier lieu, le coût des aménagements et travaux prévus pour ces 1 920 mètres de voie, de 68 millions d’euros, soit 34 millions d’euros par kilomètre, demeure très important, et ce même si ce coût élevé trouve son origine notamment dans la création des ouvrages d’art, principalement deux viaducs pour 18,6 millions d’euros, trois ponts routiers, 5500 m² de murs de soutènement et 2100 mètres de murs acoustiques.
10. En second lieu, l’autorité environnementale saisie a estimé que ce projet à caractère urbain s’insérait » dans l’un des plus beaux balcons de la Côte d’Azur » et que l’analyse des impacts, succincte, ne mettait pas en avant les modifications importantes du secteur en terme de grand paysage entraînées par l’implantation d’ouvrages exceptionnels. La zone d’étude, située sur le versant Sud de la commune, est en effet fortement exposée dans le grand paysage. Elle est visible de loin et compose notamment l’horizon de la Plaine de la Siagne au Nord. Il ressort également des pièces du dossier, notamment de l’étude d’impact, que la séquence partant du chemin des Loubonnières à la RD 2562, qualifiée de paysage d’exception selon cette même étude, est caractérisée par deux vallons très largement boisés (chênes, aulnes…), des chemins étroits et bordés de vieux murs en pierre, rendant l’endroit agréable et pittoresque. La forte visibilité du projet, en raison de la pente, des ouvrages associés à la voie (talus, murets, protections acoustiques) et surtout de l’implantation de deux viaducs d’une longueur de 150 m pour le premier, au sein du vallon des Loubonnières, et 210 m pour le second dans le vallon de Château Folie, avec une hauteur respective d’environ 20 m et 27 m conduira, dans cet espace sensible du point de vue du paysage rapproché mais également lointain, à un changement profond dans la perception du site, et ce même si des études ultérieures doivent affiner et préciser les caractéristiques des viaducs. Les mesures visant à atténuer les effets paysagers du projet en ce qui concerne la séquence des vallons, décrites dans l’étude d’impact et qui consistent à assurer la continuité paysagère par une plantation arborée dense des terrassements avec plantation de pins et de chênes sur les talus lorsque leur configuration le permettra, ainsi que le long des emprises de la future piste cyclable, ne pourront atteindre leurs objectifs que dans la partie basse des viaducs. » (CAA Marseille, 8 juillet 2019, Association de défense des riverains du quartier de Château-Folie, req. n° 17MA01570).
Création d’une liaison routière au coût excessif : « Si le contournement des centres-bourgs présente un intérêt certain pour leurs habitants et pour leur attractivité commerciale et touristique et si le nouveau tracé de la RD 96 sur 4,2 kilomètres améliorera le confort de circulation, il est constant que le tracé retenu pour rejoindre l’A20 au demi-échangeur n° 54 avant Cressensac est plus long d’environ 7,5 km que l’itinéraire utilisant la RD 720 en passant par Turenne, pour un gain de temps limité à 2,5 mn à condition de s’acquitter du paiement du péage autoroutier, qu’il ne permet pas de rejoindre l’A20 en direction du sud, de sorte que le trafic de poids-lourds traversant les communes de Martel et Saint-Denis-lès-Martel afin de rejoindre l’autoroute dans cette direction ne sera pas significativement diminué, tandis que l’itinéraire de contournement de Condat, en zone urbaine, créera des nuisances pour les habitants de cette commune dont la résidence sera limitrophe à cet itinéraire de contournement. En outre, il ressort des pièces du dossier et notamment des conclusions des commissaires-enquêteurs que si le projet alternatif dit » T2-1 » bénéficiait du soutien d’usagers de la route, de professionnels et de particuliers regroupés au sein de l’association » Accès-cible « , tel n’est pas le cas du tracé retenu. Au contraire, les contributions favorables au projet » voie d’Avenir » ne représentent que 10 % des contributions à l’enquête publique et émanent » essentiellement des élus et riverains des routes actuellement impactées par un important trafic de poids-lourds » alors que l’opposition au projet fait l’objet d’une mobilisation importante et que le projet de création d’une vaste » zone d’activité du Parc Haut Quercy, (…) cité dans l’étude d’impact comme étant l’un des secteurs à inclure dans les zones d’activité à » mailler « , a été abandonné en 2014. » Dans ces conditions, l’intérêt du projet » Voie d’Avenir » pour ses usagers futurs et son incidence économique ne peuvent être regardés que comme très modérés pour un coût prévisionnel de 56 millions d’euros, soit plus d’un cinquième du budget annuel du département du Lot. » (CAA Bordeaux, 12 décembre 2019, préfet du Lot, req. n° 18BX02166) ;
Travaux d’aménagement d’une rue au coût excessif et à l’intérêt limité : « Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’opération projetée, qui s’inscrit dans le cadre du projet de restructuration de l’entrée Sud de l’agglomération de Dreux, consiste à réaliser, à Vernouillet, sur la surface de l’actuelle rue de Bruxelles et des parcelles expropriées, une nouvelle voie d’accès à la zone d’activités commerciales dite » Plein Sud « , deux giratoires, ainsi qu’un espace de stationnement de quatre-vingt-dix places, des cheminements piétons et des aménagements paysagers. Cette opération, dite de » requalification du paysage urbain « , est justifiée par l’objectif de renforcer l’attractivité du secteur ouest de la zone d’activités commerciales dite » Plein Sud » par l’amélioration de l’accès à ce secteur et de sa visibilité. Or, si une telle opération peut être regardée comme répondant à une finalité d’intérêt général et ne peut être réalisée sans procéder aux expropriations litigieuses, il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment du rapport du commissaire enquêteur, que son apport à l’amélioration de l’accessibilité à ce secteur de la zone commerciale est limité et que la justification de l’expropriation prévue réside essentiellement dans l’objectif d’une amélioration de la visibilité de ce secteur, quand bien des places de stationnement supplémentaires seraient réalisées. Dans ces conditions, en jugeant que l’atteinte aux droits de propriété de Mme A…, qui habite l’un des deux bâtiments concernés par l’expropriation envisagée, ainsi que le coût de l’opération, évalué à près de 1,2 millions d’euros, n’étaient pas excessifs eu égard à l’intérêt que celle-ci présente, la cour a commis une erreur de qualification juridique. » (CE, 11 décembre 2019, préfet d’Eure-et-Loir, req. n° 419760, mentionné aux tables).
Benoît JORION
Avocat à la Cour d’appel de Paris
Spécialiste en droit public
Benoit Jorion