Le prix du bien préempté peut être consigné du seul fait de l’existence d’un recours
(Civ. 3eme, 23 septembre 2020, Métropole de Lyon, pourv. n° 19-14.261, publié au bulletin)
L’article L. 213-14 du code de l’urbanisme prévoit que le bien préempté doit être réglé par le titulaire du droit de préemption dans un certain délai et que « en l’absence de paiement ou, s’il y a obstacle au paiement, de consignation de la somme due à l’expiration du délai prévu à l’alinéa précédent, le titulaire du droit de préemption est tenu, sur demande de l’ancien propriétaire, de lui rétrocéder le bien acquis par voie de préemption. »
Cet article est protecteur du vendeur, assuré d’être réglé. En même temps, il ne lui permet pas de bloquer la vente en refusant de percevoir le prix. Ce dernier peut en effet être consigné en cas « d’obstacles au paiement ». L’article R. 323-8 du code de l’expropriation vise pas moins de onze hypothèses d’obstacles au paiement.
Sans que cette raison ne figure dans cette liste, une intercommunalité a prétexté l’exercice d’un recours devant le juge administratif pour consigner le prix. Le vendeur a estimé qu’un recours ne constituait pas un obstacle au paiement et qu’il convenait donc de lui rétrocéder son bien.
La Cour de cassation a jugé que « la cour d’appel, qui a souverainement retenu qu’il existait un risque avéré de non-restitution du prix de vente en cas d’annulation de l’arrêté de préemption par la juridiction administrative, a caractérisé l’existence d’un obstacle au paiement justifiant la consignation du prix de vente, sans être tenue de procéder à une recherche sur le fondement d’une disposition qui ne trouve à s’appliquer que lorsque le prix d’acquisition est fixé par la juridiction compétente en matière d’expropriation ».
Un tel arrêt est extrêmement contestable. Il l’est sur le plan des faits : s’il n’y a pas de restitution du prix de vente, il n’y aura pas de restitution du bien, de telle sorte que le titulaire du droit de préemption ne sera jamais lésé. Il l’est sur le plan des effets : le vendeur qui n’est plus propriétaire du bien, ne peut en percevoir le prix, pour une durée qui peut être longue, le temps que le juge administratif se prononce définitivement sur la légalité de la décision de préemption. Il l’est enfin sur le plan des principes : il remet en cause le droit d’agir en justice. L’effet attaché à une contestation de la légalité de la décision de préemption est en effet si disproportionné qu’il peut aboutir à ce que le vendeur y renonce, et que la pression sera très forte sur l’acheteur pour qu’il en aille de même. Enfin, cet important recul des droits du vendeur est paradoxal alors que dans le même temps, le Conseil d’Etat a fait en sorte de mieux le protéger (CE, 24 juillet 2019, SCI Madeleine, req. n° 428552, mentionné aux tables).
Benoît JORION
Avocat à la Cour d’appel de Paris
Spécialiste en droit public