Motivation des décisions de préemption. Exemples de motivation insuffisante
La jurisprudence exige que la décision de préemption fasse apparaître « la nature » du projet poursuivi (CE, 7 mars 2008, Commune de Meung-sur-Loire, req. n° 288371, publié au recueil).
A titre d’illustration, les motivations suivantes ont été jugées insuffisantes :
A propos d’une motivation qui se contente de citer un extrait de l’article 300-1 du code de l’urbanisme : « En l’espèce, la décision attaquée se réfère au plan local d’urbanisme approuvé le 27 juin 2013 instituant une zone 4AU2 dédiée à l’extension de la zone d’activés des Routous, et dans laquelle se trouvent les parcelles préemptées. Elle vise l’arrêté préfectoral du 26 novembre 2015 instituant le droit de préemption urbain sur les zones U et AU du PLU de Vendargues et indique que cette acquisition est nécessaire en vue de constituer des réserves foncières pour organiser le maintien, l’extension ou l’accueil d’activités économiques. Elle ne fait toutefois état d’aucun projet, même imprécis, pour réaliser l’objectif ainsi poursuivi et ne précise notamment pas s’il s’agit du maintien, de l’extension ou bien de l’accueil d’activités économiques » (CAA Marseille, 30 novembre 2020, Montpellier Méditerranée Métropole, req. n° 18MA04258) ;
Autre exemple d’une motivation qui se contente de citer un extrait de l’article 300-1 du code de l’urbanisme : « En outre, contrairement à ce que soutient la commune, l’acquisition d’un bien immobilier par l’exercice du droit de préemption ne constitue pas en elle-même une action ou une opération d’aménagement visée à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme qui permettrait d’exercer ce même droit de préemption sur le fondement de l’article L. 210-1 du même code. Ainsi que l’a jugé le tribunal administratif, la décision du 26 mai 2016, qui se borne à indiquer que le droit de préemption est exercé en vue de permettre « le renouvellement urbain et de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti », ne comporte pas de précisions suffisantes sur le projet envisagé. Le moyen tiré de l’insuffisance de motivation de cette décision est donc fondé » (CAA Marseille, 14 septembre 2020, commune de Camaret-sur-Aigues, req. n° 18MA05274)
A propos d’une motivation insuffisante en matière de logements : « Dans la décision en litige du 27 juillet 2017, il est indiqué que la préemption est justifiée par la réalisation d’une « opération d’aménagement et de requalification du centre historique de Bordeaux », l’acquisition de l’immeuble devant permettre à la société InCité de mettre en oeuvre, dans le centre-ville, des logements « adaptés aux besoins des familles avec enfant ». Toutefois, cette motivation ne fait pas suffisamment apparaitre la nature du projet pour lequel le droit de préemption est exercé sur la parcelle située 38 rue Permentade à Bordeaux. La décision de préemption renvoie certes aux objectifs du programme local de l’habitat intégré au plan local d’urbanisme de Bordeaux Métropole, à savoir l’accession à la propriété, la promotion de la fonction sociale du parc privé, le développement des logements sociaux dans le centre-ville et l’accompagnement de la croissance démographique. Cependant, ce renvoi à des objectifs du programme local de l’habitat ne permet pas de connaître la nature de l’action ou de l’opération d’aménagement que la société InCité entend mener en exerçant son droit de préemption. En se référant aux objectifs de la concession d’aménagement que la ville de Bordeaux a attribuée à la société InCité, à savoir le renouvellement urbain, la lutte contre l’insalubrité, la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine bâti, la décision de préemption ne fait pas davantage apparaître la nature du projet pour la réalisation duquel elle a été prise » (CAA Bordeaux, 17 novembre 2020, SAEM InCité, req. n° 18BX03074) ;
A propos d’une motivation aussi vague que multiple : « En l’espèce, la décision attaquée est ainsi motivée : « En application des articles L 212-1 et suivant du code de l’urbanisme et sur le fondement de l’Arrêté Préfectoral précité, je vous informe que j’ai décidé d’exercer ce droit sur le bien concerné dans l’objectif de constituer des réserves foncières destinées, à terme, à mettre en oeuvre un projet urbain compatible avec les objectifs du SCOT de l’agglomération, une politique locale de l’habitat conforme au Programme Local de l’Habitat, et d’organiser l’extension ou l’accueil des activités économiques ». L’arrêté du 4 août 2005 créant la zone d’aménagement différée prévoit quant à lui que : « Article 1 : Une zone d’aménagement différé est créée sur le territoire de la commune de SAINT-BRES afin de constituer une réserve foncière permettant, par la suite, de mettre en oeuvre un projet urbain et une politique locale de l’habitat, d ‘organiser l’extension ou l ‘accueil des activités économiques, de réaliser des équipements collectifs et de se prémunir contre le risque d’une évolution non maîtrisée du prix des terrains./ L’aménagement de ce secteur permettra de rééquilibrer l’urbanisation de la commune vers l’Est, en continuité directe avec le bâti existant, de promouvoir un développement plus harmonieux, et de favoriser ainsi une vie sociale plus active./ Ce développement apparaît par ailleurs pertinent, tant en terme de configuration urbaine et de consommation d’espace qu’au regard de la présence à proximité de la zone des différents réseaux. L’arrêté du 4 août 2005, pas davantage que la décision attaquée du 5 novembre 2014 ne permet d’identifier l’objectif poursuivi par l’autorité administrative dès lors qu’elle ne précise pas s’il relève de la mise en oeuvre d’un projet urbain compatible avec le SCOT ou d’une politique de l’habitat, ou bien encore de l’extension ou l’accueil des activités économiques. Au demeurant, la parcelle préemptée a la nature d’un espace boisé, et figure au plan local d’urbanisme en zone non équipée, réservée à une urbanisation future où les équipements de viabilité sont absents. Faute d’identifier un objectif poursuivi par la décision attaquée, cette dernière est insuffisamment motivée au sens des dispositions de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme et ne peut qu’être annulée » (CAA Marseille, 6 janvier 2021, Montpellier Méditerranée Métropole, req. n 17MA05081) ;
A propos d’une motivation très générale : « En l’espèce, la commune a motivé comme suit l’exercice du droit de préemption par la délibération litigieuse : « la commune doit acquérir ses terrains et cette propriété puisqu’ils seront utilisés pour continuer sa démarche de mise en valeur du patrimoine communal, surtout depuis l’obtention du label village de caractère en 2016. Ainsi de nombreux projets pourront être mis en place avec un intérêt patrimonial et culturel architectural paysager historique en collaboration avec l’office de tourisme du pays de Meaux et le musée de la Grande guerre ». De tels motifs, eu égard à leur généralité, ne peuvent être regardés comme justifiant de la réalité d’un projet d’action ou d’une opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, ni comme faisant apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption elle-même. Il s’ensuit que la commune appelante n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif a regardé le moyen comme susceptible de fonder l’annulation de la délibération querellée » (CAA Paris, 10 décembre 2020, commune de Montceaux-lès-Meaux, req. n° 20PA01921).
A propos d’une requalification urbaine : « Si la décision de préemption prise le 8 mars 2018 par le maire de la commune du Blanc-Mesnil indique que la préemption est réalisée afin de permettre la requalification urbaine et commerciale et notamment le développement de l’activité commerciale du centre-ville sud, elle ne fait cependant pas apparaître, par ces seules indications, la nature du projet de l’action ou de l’opération d’aménagement que cette collectivité territoriale entendait mener à cette fin. Cette décision est donc insuffisamment motivée » (CAA Versailles, 17 décembre 2020, commune du Blanc Mesnil, req. n°19VE00354).
A propos d’une décision floue et d’écritures contradictoires et différentes en première instance et en appel : « Ainsi, ni les écritures produites par la commune, au demeurant contradictoires, ni les termes de la décision, ne permettent de déterminer la nature du projet d’action ou d’opération d’aménagement envisagé sur les parcelles en litige, un tel projet ne pouvant d’ailleurs se déduire, pour légalement justifier le recours à la préemption, du seul souhait exprimé par la commune » d’avoir la maîtrise des projets » au sein de la zone d’aménagement concerté » (CAA Douai, 15 juillet 2020, commune d’Avion, req. n° 19DA00212).
Benoît JORION
Avocat à la Cour d’appel de Paris
Spécialiste en droit public