Application du principe d’égalité aux conditions d’indemnisation des locataires expropriés
L’expropriation ne concerne pas que le propriétaire exproprié. Elle a aussi des conséquences sur les locataires. L’article L. 323-3 du code de l’expropriation permet aux locataires de percevoir le paiement d’un acompte représentant 50 % du montant des offres de l’expropriant, à la condition qu’une ordonnance d’expropriation soit intervenue. Les requérants soutenaient que cette condition excluait du bénéfice de cet acompte les locataires d’un bien dont le transfert de propriété est opéré par cession amiable, ce qui est constitutif d’une rupture d’égalité.
On sait qu’il n’est pas rare que, après déclaration d’utilité publique, l’expropriant et l’exproprié s’entendent sur une cession amiable. Les droits du locataire sont ainsi limités, alors qu’il n’a pris aucune part à cette issue amiable. Cela a conduit le Conseil constitutionnel à admettre l’existence d’une différence de traitement.
Après avoir rappelé que le paiement d’un acompte sur l’indemnité qui est due au locataire est destinée à faciliter sa réinstallation, le Conseil constitutionnel pose que, quel que soit le mode de cession du bien loué, « les conséquences sur les droits du locataire sur ce bien ainsi que sur son droit à indemnisation sont identiques ». Or, « ni l’ordonnance d’expropriation ni les stipulations d’une cession amiable conclue entre l’expropriant et le propriétaire du bien n’ont pour objet de déterminer les conditions d’indemnisation et d’éviction du locataire. Dès lors, la circonstance que le transfert de propriété du bien loué soit opéré par une ordonnance d’expropriation ou par une cession amiable ne rend pas compte, au regard de l’objet de la loi, d’une différence de situation entre les locataires ». Le Conseil constitutionnel en conclut que « la différence de traitement n’est pas non plus justifiée par un motif d’intérêt général ». Il déclare donc l’article L. 323-3 du code de l’expropriation contraire à la Constitution. (Cons. Cons, décision n° 2021-897 QPC du 16 avril 2021)
Benoît Jorion
Avocat à la Cour d’appel de Paris
Spécialiste en droit public