Référé suspension contre une déclaration d’utilité publique

Le Conseil d’Etat avait déjà posé l’existence d’une présomption d’urgence lorsque la suspension d’une déclaration d’utilité publique était demandée (CE, 5 décembre 2014, consorts Le Breton, tables p. 792).

L’arrêt commenté approuve le juge du fond d’avoir suspendu une déclaration d’utilité publique d’une ZAC ayant pour objet la revitalisation du centre bourg d’une commune. Après avoir rappelé le principe de présomption d’urgence applicable en la matière, le Conseil d’Etat pose : « Il s’ensuit que le juge des référés, en retenant en l’espèce l’urgence à suspendre les arrêtés litigieux après avoir relevé que la parcelle en cause, sur laquelle se trouvait une partie du jardin de la maison des requérants, était destinée à accueillir la construction de logements, que l’ordonnance d’expropriation, intervenue le 4 décembre 2019, n’était pas devenue définitive, que le bénéficiaire n’avait pas encore fait usage du bien pour y entamer les travaux de construction projetés et que les maisons devant être édifiées sur la parcelle en cause ne représentaient qu’une part très minoritaire du programme de logements envisagé, aucun élément n’étant de nature à établir qu’il était nécessaire de permettre l’exécution immédiate de la décision contestée, n’a pas dénaturé les faits qui lui étaient soumis ni entaché son ordonnance d’une erreur de droit. Le ministre n’est pas davantage fondé à soutenir que la condition d’urgence ne saurait être regardée comme remplie en l’espèce au motif que les requérants n’auraient saisi le juge des référés que le 8 novembre 2019 alors que l’arrêté de cessibilité datait du 19 septembre 2019 ». Ainsi, le fait que l’ordonnance d’expropriation -non définitive en l’espèce – soit déjà intervenue ne suffit pas à renverser cette présomption.

Sur l’exigence d’un moyen de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la déclaration d’utilité publique, le Conseil d’Etat estime dans ce même arrêt que : « Après avoir souverainement constaté, sans dénaturation des pièces du dossier, que l’opération en cause avait pour objet de rénover le centre-bourg de la commune du Poiré-sur-Vie par la construction d’habitats collectifs, dont des logements locatifs sociaux, ainsi que des commerces, le juge des référés a retenu que l’inclusion dans le périmètre d’expropriation de la parcelle de M. et Mme C…, sur laquelle ne sont prévus ni logements collectifs ni commerces mais la réalisation d’une impasse et la construction de quelques maisons, faisait naître un doute sérieux quant à la légalité des arrêtés litigieux. En statuant ainsi, le juge des référés a suffisamment motivé sa décision et s’est livré, sans erreur de droit, à une appréciation souveraine des faits de l’espèce. » (CE, 27 janvier 2021, EPF de la Vendée, req. n° 437237, mentionné aux tables).

 

En revanche, une Cour estime que la condition d’urgence n’est pas remplie en raison notamment de l’état d’avancement des travaux : « Pour justifier de l’urgence que présenterait la suspension de la décision de déclaration d’utilité publique des travaux de modernisation litigieux, les requérants font valoir, d’une part, que les travaux ont commencé, qu’ils seront poursuivis jusqu’à un stade irrémédiable à la date de l’arrêt jugeant l’affaire au fond et que leur réalisation occasionne des atteintes environnementales graves, d’autre part, que ces travaux causeront des préjudices graves et immédiats du point de vue des nuisances sonores et de l’impact sur le transport voyageurs. Il ressort toutefois des pièces du dossier que les travaux de modernisation de la ligne ferroviaire Gisors-Serqueux qui ont débuté mi 2017 étaient, à la date du 30 août 2020, réalisés à hauteur de 85 %, les ouvrages principaux étant achevés et la mise en service prévue pour le 12 mars 2021. Par ailleurs, les atteintes et nuisances alléguées découlent principalement, non des travaux de modernisation de la ligne tels qu’ils sont projetés, mais de la manière dont ils sont réalisés et de la mise en service de la ligne rénovée, qui relève de décisions ultérieures de l’exploitant du réseau ferré. Ainsi, et eu égard à l’intérêt public qui s’attache à la modernisation de la desserte ferroviaire Serqueux-Gisors, les éléments produits par les requérants ne sont pas de nature à caractériser la situation d’urgence à laquelle est subordonnée une mesure de suspension » (CAA Douai, 13 octobre 2020, commune d’Ablaiges, req. n° 20DA01389).

Benoît Jorion

Avocat à la Cour d’appel de Paris

Spécialiste en droit public