But de la décision de préemption : Projets relevant du droit de préemption
L’article L. 210-1 du code de l’urbanisme pose que « Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L. 300-1 » L’article L. 300-1 du code de l’urbanisme donne, lui, une longue énumération de ces actions ou opérations d’aménagement (une dizaine, souvent très générales). Cet article 300-1 est donc assez souple pour permettre la préemption en vue de projets très variés :
Lot consistant en une surface de sous-sol à usage d’aire de lavage pour les véhicules automobiles : « 5. En premier lieu, quand bien même l’exercice du droit de préemption ne porte en l’espèce que sur un lot de copropriété, il participe à la réalisation d’un programme de construction de douze logements qui constitue une opération d’aménagement. En outre, la réalisation de logements sociaux a, par nature, pour objet la mise en œuvre d’une politique locale de l’habitat. Par suite, alors même que la décision du 23 avril 2018 ne vise aucune délibération définissant la politique locale de l’habitat de la commune de Vincennes et quand bien même l’opération en cause, ne prévoyant la construction que de sept logements sociaux, est d’ampleur modeste, elle constitue une opération d’aménagement répondant à un objet mentionné à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme et susceptible de justifier l’exercice du droit de préemption. » (CAA Paris, 24 mars 2022, commune de Vincennes, req. n° 21PA03913).
Maintien d’une librairie en centre-ville : 4. D’une part, il ressort des pièces du dossier que le bien préempté se situe 17 Grand Place – Charles de Gaulle, dans le centre-ville de Bailleul, à proximité de la mairie et de plusieurs commerces, et accueille, en son rez-de-chaussée, une librairie-papeterie dénommée « La Bailleuloise » qui, par sa superficie, sa centralité et son ancienneté, contribue au dynamisme et à l’attractivité économiques de la commune. Il ressort des pièces du dossier et notamment du procès-verbal de la délibération du 12 octobre 2017 qu’en préemptant ce bien, la commune, qui avait été informée de sa mise en vente, a entendu s’assurer de la pérennité de sa destination commerciale et du maintien, par sa mise à bail, d’une activité économique équivalente en centre-ville. Contrairement à ce que soutiennent M. A… et la société Cabinet A… Assurances, ce projet, dont la nature a été décrite avec une précision suffisante dans les décisions attaquées et qui vise à organiser le maintien d’une activité économique en centre-ville, répond à l’un des objets prévus à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, en vue desquels le droit de préemption urbain peut être exercé » (CAA Douai, 25 janvier 2022, commune de Bailleul, req. n° 20DA01362).
Mise à disposition de locaux au bénéfice d’associations pour le stockage de matériel et la création d’un espace de formation et d’un atelier de réparation de produits recyclés : « 7 D’autre part, ce projet d’utilisation des locaux, correspond aux objectifs prévus par l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme s’agissant de l’accueil d’activités économiques pour l’activité de recyclage, qui devrait permettre des créations d’emploi, et de la mise à disposition de locaux pour des associations intervenant dans le domaine des loisirs, alors même que certaines associations concernées n’auraient pas été déjà implantées sur la commune » (CAA Bordeaux, 12 mai 2022, commune de Rouffignac, req. n° 20BX01350).
Préemption d’une zone humide à titre de mesure compensatoire des atteintes environnementales résultant de la réalisation d’une ZAC : « 7. D’autre part, ce projet d’utilisation des locaux, correspond aux objectifs prévus par l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme s’agissant de l’accueil d’activités économiques pour l’activité de recyclage, qui devrait permettre des créations d’emploi, et de la mise à disposition de locaux pour des associations intervenant dans le domaine des loisirs, alors même que certaines associations concernées n’auraient pas été déjà implantées sur la commune » (CAA Nantes, 18 novembre 2022, société Nadiphia Atlantic, req. n° 21NT00975).
Installation de services administratifs et techniques municipaux : « 4. Pour l’application de ces dispositions, la rénovation ou l’aménagement d’immeubles existants dans le but d’y installer les services administratifs et techniques municipaux peut constituer une action ou une opération d’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme. Par suite, en retenant comme propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision de préemption en litige le moyen tiré de ce qu’un tel projet ne constitue pas une action ou une opération d’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a commis une erreur de droit. Il s’ensuit, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la commune de Thiais est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance qu’elle attaque » (CE, 8 décembre 2022, commune de Thiais, req. n° 464418).
Construction d’une soixantaine de logements diversifiés : « 14. En sixième lieu, ainsi qu’il vient d’être dit, la préemption du bien concerné a été décidée en vue de la construction d’une soixantaine de logements diversifiés, dont une part de logement sociaux. Une telle opération répond à un intérêt général suffisant, quand bien même la commune de Montreuil satisfait déjà aux obligations induites par l’article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain du 13 décembre 2000 en matière de logement social. Si la société requérante soutient que les collectivités publiques disposent de terrains sur lesquels pourraient être réalisés les logements programmés dans le secteur Boissière, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la préemption de la parcelle D58 participe à la réalisation de cette opération. En se bornant à faire valoir la faible dimension du terrain et le coût d’acquisition, la société requérante n’apporte pas d’élément de nature à remettre en cause l’intérêt général s’attachant à cette opération » (CAA Paris, 29 décembre 2022, SAS PI 3A, req. n° 21PA03234).
Espace de coworking : « 7. Il ressort de la décision de préemption en litige qu’elle a pour projet de créer, dans les locaux préemptés, un espace de « coworking » permettant « à des télétravailleurs isolés ou nomades de se rencontrer », de donner « la possibilité à des porteurs de projets d’engager des collaborations avec d’autres partenaires utilisant 1’espace et de faire bénéficier » les télétravailleurs d’un lieu équipé, connecté et animé » . Cette décision précise que ce projet est inscrit en fiche A2 dans le contrat de territoire du Pôle d’équilibre territorial et rural (PETR) du Mâconnais Sud Bourgogne qui prévoit la création d’espaces de » coworking « sur l’ensemble du territoire. La communauté de communes produit la » fiche-action « de ce contrat relative à la » finalisation du maillage du territoire en espaces de coworking « dont il ressort qu’est prévue la création d’un tel espace dans la zone d’activités de Genève Océan-Les Prioles. La présentation détaillée de la création de ces espaces de » coworking « produite à l’instance relève qu’ils ont vocation à délivrer des prestations de formation et à mettre à disposition des outils bureautiques et autres équipements relatifs aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Il est ainsi relevé que ce projet vise à » éviter l’isolement social en proposant une animation au sein d’une communauté de travailleurs « et permet également d’ » offrir un accompagnement, des outils techniques () et des outils administratifs permettant le développement de projets et le portage numérique des activités « . Ainsi, la réalité du projet pour lequel le droit de préemption est exercé ainsi que son intérêt général sont suffisamment établis à la date de la décision attaquée. Si les requérants font valoir que le territoire envisagé pour l’implantation du projet n’est pas couvert par la fibre, ils n’apportent aucun élément permettant d’établir que ce site ne pourrait en temps voulu être desservi par une connexion internet efficace et suffisante. Enfin, en se bornant à faire valoir que leur projet d’installation de relais routier présentait un intérêt public plus important, les requérants ne remettent pas sérieusement en cause le caractère d’intérêt général du projet. Par suite, le moyen tiré de ce que la préemption litigieuse ne serait pas intervenue dans un projet d’action entrant dans le champ d’application de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme doit être écarté » (CAA Lyon, 10 décembre 2022, Communauté de communes Saint-Cyr-Mère-Boitier, req. n° 20LY03488).
Benoît Jorion
Avocat à la Cour d’appel de Paris
Spécialiste en droit public