Finalités d’intérêt général en matière d’expropriation
L’appréciation de l’utilité publique d’une opération conduit en principe le juge administratif à contrôler successivement l’existence d’une finalité d’intérêt général, que l’expropriant ne peut réaliser sans recourir à l’expropriation, puis que le bilan est positif. Ces trois niveaux de contrôle sont parfois rappelés. Mais ils ne le sont pas toujours.
Les opérations suivantes ont ainsi été jugées présenter un intérêt général suffisant :
Un projet d’aménagement permettant la jonction entre deux zones d’aménagement concertées : « 7. Enfin, il résulte de ce qui précède, et notamment de ce qui a été exposé au point 6, que le projet d’aménagement du secteur de Corbeville, qui s’intègre aux opérations d’aménagement du plateau de Saclay que le décret n° 2009-248 du 3 mars 2009 a déclaré opération d’intérêt national, doit permettre la jonction entre les installations de la zone d’aménagement concerté du Moulon à Gif-sur-Yvette et de la zone d’aménagement concerté de l’école Polytechnique à Palaiseau. Il est constant que le secteur doit être traversé par la ligne 18 du métropolitain ainsi qu’un réseau de transport en commun en site propre et doit accueillir, en particulier, des logements étudiants et familiaux pour la réalisation d’un campus permettant de réunir les deux zones précitées. Le projet d’aménagement répond donc à une finalité d’intérêt général et n’était pas réalisable sans recourir à l’expropriation dès lors que la majorité des propriétés, constituées notamment de terres agricoles et d’immeubles à usage professionnel inexploités, n’est pas sous maitrise foncière publique. Par ailleurs, s’il ressort des pièces du dossier que le projet aura pour effet la disparition de terres agricoles, une augmentation du trafic routier et l’imperméabilisation des terres, il en ressort également qu’a été prévue la création d’une zone de protection naturelle agricole et forestière de plus de 2 400 hectares, sur le plateau de Saclay et qu’une partie des terrains compris dans le secteur de Corbeville ne sera pas voire ne pourra pas être construite, l’affectation des terres dans le périmètre de la déclaration d’utilité publique n’étant pas encore arrêtée. Il suit de là que l’atteinte portée aux terres agricoles n’apparaît pas excessive au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi et des mesures de compensation mises en œuvre. Il résulte par ailleurs de ce qui a été exposé au point 6 que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le coût d’acquisition des terrains n’aurait pas été correctement pris en compte dans la balance coûts-avantages. L’association les Amis de la vallée de la Bièvre et l’association Union des associations de sauvegarde du plateau de Saclay et des vallées limitrophes ne sont donc pas fondées à soutenir que le projet d’aménagement en litige ne serait pas d’utilité publique » (CAA Versailles, 14 avril 2022, Association Les amis de la vallée de la Bièvre, req. n° 19VE00887) .
La constitution de réserves foncières en vue d’un nouveau quartier : « 9. Il ressort des pièces du dossier que la constitution de réserves foncières dans le secteur de la Plaine de Cambaie, et notamment sur la friche de l’ancienne antenne Oméga, qui s’étend sur 200 hectares, doit permettre, à terme, la réalisation de 15 000 logements et de tous les équipements en matière de transports, de loisirs, et d’environnement nécessaires au fonctionnement d’un nouveau quartier labellisé ÉcoCité devant accueillir 40 000 habitants, sur ce territoire de 200 hectares qui intègrera les trois agglomérations de Saint-Paul, du Port et de La Possession, ainsi que les ultimes emprises libres entre Le Port et La Possession, et entre Le Port et Saint-Paul où se situe géographiquement l’espace Cambaie Oméga. La construction des 15 000 logements tend tout particulièrement à faire face à l’augmentation rapide de la population de l’ouest de La Réunion, au manque de logements, ainsi qu’à la lutte contre l’habitat indigne évalué à 10 000 logements sur le territoire du TCO. Ainsi, contrairement à ce que soutient M. B…, l’opération projetée répond à une finalité d’intérêt général » (CAA Bordeaux, 7 avril 2022, Préfet de la Réunion, req. n° 20BX03121).
La démolition-reconstruction de logements sociaux : « 18. L’opération en litige, qui vise à la fois la démolition-reconstruction de logements, dont une majorité de logements sociaux locatifs, et la requalification du quartier de Saint-Mauront-Gaillard, et qui emporte également augmentation de la superficie des espaces verts publics et privés et aménagement de places publiques, revêt un caractère d’intérêt général, malgré l’insertion de celui-ci dans un secteur de la commune de Marseille caractérisé par une importante concentration de logements de cette nature, et la durée des procédures menées par la commune depuis 1995 pour permettre la maîtrise foncière des parcelles ainsi concernées. S’il ressort de la notice explicative du projet que, ainsi qu’il a été dit au point 14, celui-ci doit se traduire par la fermeture à la circulation publique de la rue Guichard et sa transformation en espace vert privé, ce même document, qui n’est pas utilement contredit par les affirmations de l’appelant tirées de constatations postérieures à l’arrêté dont il excipe de l’illégalité, montre que la rue Gaillard, destinée à l’élargissement et au réaménagement dans le cadre de l’opération litigieuse, permettra la circulation piétonnière, dont celle des personnes à mobilité réduite. La seule circonstance que l’une des deux places publiques projetées consisterait en réalité en un simple déplacement d’une place existante, n’est pas de nature à altérer la finalité d’intérêt général poursuivi par l’opération. Contrairement à ce que soutient l’appelant, qui ne remet pas sérieusement en cause l’amélioration de la desserte et le désenclavement auxquels contribue le projet en litige, les seules écritures présentées par le préfet des Bouches-du-Rhône devant le tribunal ne peuvent suffire à démontrer qu’il se serait mépris sur les caractéristiques essentielles de l’opération et partant sur son caractère d’intérêt général. Compte tenu de ce qui vient d’être dit, il ne ressort enfin d’aucune des pièces du dossier que cette opération n’aurait, en réalité, pour d’autre finalité, que de satisfaire l’intérêt privé de la SOLEAM » (CAA Marseille, SOLEAM, 8 novembre 2022, req. n° 20MA03752).
A l’inverse, un projet insuffisamment précis, pour lequel de surcroît un doute existe sur la superficie, a été jugé ne pas présenter d’utilité publique : « 8. Au surplus, à supposer même que le périmètre de la zone d’activités économiques projetée était bien de 7,5 hectares ainsi que le soutient la communauté d’agglomération dans ses écritures et qu’il intégrait les installations de la société Vygon d’une superficie d’environ 5 hectares, il ressort des pièces précitées que ni la décision du 31 mars 2014 du directeur régional et interdépartemental de l’environnement et de l’énergie, ni la notice explicative susmentionnée, ni le rapport du commissaire enquêteur n’en font état et n’ont pris en compte la présence des installations de la société Vygon dans le périmètre de la zone d’activités économiques. Ainsi, et alors que l’insertion des installations de la société Vygon dans le périmètre de cette zone ne peut pas être regardée comme accessoire au regard de leur superficie et de la nature de son activité, les consorts D… sont fondés à soutenir que le périmètre de la zone d’activités économiques n’était pas précisément défini. Il ressort en outre des pièces du dossier que si l’installation du centre technique municipal et les aménagements routiers étaient précisément identifiés au moment de l’engagement de la procédure de reconnaissance de l’utilité publique de la réalisation de la zone d’activités économiques, sur des terrains essentiellement acquis à l’amiable avant la reconnaissance de l’utilité publique du projet, aucun projet suffisamment précis d’implantation d’une activité économique n’était en revanche avancé, la notice explicative se bornant à évoquer en page 13 des activités tertiaires et artisanales. Il ressort en effet des pièces du dossier que l’installation d’un hôtel-restaurant susceptible de créer entre 20 et 40 emplois, seule activité précisément identifiée, avait été abandonnée avant même la réalisation de l’enquête publique. Le commissaire enquêteur a ainsi regretté l’absence de visibilité sur les activités prévues et l’absence de justification du nombre d’emplois escomptés, en faisant état de la formulation de la même observation par plusieurs personnes au cours de l’enquête publique. En outre, alors qu’il résulte du rapport du commissaire enquêteur que la société Vygon prévoyait la construction de nouveaux bâtiments industriels pour son extension et que le projet d’extension de la société Vygon était présenté comme implanté au sud de la zone d’activités économiques en page 10 de la notice explicative, il ressort du même rapport qu’un accord d’échange de parcelles entre la société Vygon et la communauté d’agglomération a été évoqué dans la délibération du conseil communautaire du 23 octobre 2014, impliquant manifestement la parcelle AD 110 appartenant à la société Vygon et une partie au moins des parcelles à exproprier. Si la communauté d’agglomération n’a pas apporté de réponse au commissaire enquêteur sur la persistance de cet accord, la société Vygon a en revanche évoqué avec le commissaire enquêteur un terrain d’entente possible avec la communauté d’agglomération pour l’acquisition d’une autre parcelle nécessaire à l’extension de son site industriel. Une extension de la société Vygon dans le périmètre de la zone d’activités économiques, qui n’est pas évoquée dans la notice explicative qui mentionne des activités tertiaires et artisanales, n’était donc pas exclue. M. D… et autres sont donc fondés à soutenir que le projet de zone d’activités économiques n’était pas suffisamment précis, s’agissant en particulier des activités susceptibles de s’y implanter, et que cette imprécision, qui a également été de nature à vicier l’enquête publique, ne permet pas de justifier de l’utilité publique du projet de zone d’activités économiques » (CAA Versailles, 21 novembre 2022, Préfet du Val d’Oise, req. n° 19VE00293).
Benoît Jorion
Avocat à la Cour d’appel de Paris
Spécialiste en droit public