Motivation des décisions de préemption. Exemples de motivation insuffisante
La jurisprudence exige que la décision de préemption fasse apparaître « la nature » du projet poursuivi (CE, 7 mars 2008, Commune de Meung-sur-Loire, req. n° 288371, publié au recueil).
A titre d’illustration, les motivations suivantes ont été jugées insuffisantes :
Aménagement urbain : « D’une part, et quand bien même la décision mentionne les obligations induites par l’article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain du 13 décembre 2000 en matière de logement social, les orientations du schéma directeur de la région Île-de-France qui souhaite favoriser la construction de logements, la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris dont l’article 1er fixe l’objectif de construire 70 000 logements, le plan local d’urbanisme révisé de la commune de Fontenay-sous-Bois dont l’orientation d’aménagement et de programmation du secteur des Alouettes au sein de laquelle se trouve la parcelle en litige à proximité de la gare de Val de Fontenay et qui est destinée à accueillir les lignes 1 et 15 du métropolitain, l’instauration d’un périmètre d’attente du projet d’aménagement global sur la zone de la Pointe à destination de bureaux, commerces, logements et espaces verts, le programme d’intervention pluriannuel 2016-2020 de l’établissement public foncier d’Île-de-France, les délibérations du conseil municipal approuvant la convention d’intervention foncière et ses avenants, le contrat de développement territorial du 21 décembre 2015 poursuivant les objectifs de construction de 1 370 logements par an sur le territoire des 5 communes signataires et le caractère stratégique de l’acquisition du bien pour la réalisation des objectifs assignés, aucune de ces mentions ne fait apparaître la nature du projet. 9. D’autre part, les documents auxquels se réfèrent ces mentions ne permettent pas plus de faire apparaître le projet. Ainsi que l’ont relevé les premiers juges, si la parcelle en litige se situe au sein de l’orientation d’aménagement et de programmation » des Alouettes » annexée au plan local d’urbanisme, seule la partie nord de ce secteur est concernée par une telle orientation de site alors que sa partie sud dans laquelle se situe le lot objet de la préemption n’est incluse que dans une orientation d’aménagement et de programmation de secteur dépourvue de prescription opérationnelle et n’identifiant aucun projet ni ne donnant aucune précision sur la nature du projet devant y être mené, sinon par une simple référence, insuffisante, à un » programme mixte (logements, bureaux et commerces) « . Le projet d’aménagement et de développement durables identifie le quartier des Alouettes comme un secteur stratégique mais se borne à rappeler que son développement à court, moyen et long terme prévoit la réalisation de plusieurs projets d’aménagement qui permettront le développement de l’habitat et des activités économiques sans plus de précision. S’agissant de la convention d’intervention foncière passée entre la commune de Fontenay-sous-Bois et l’établissement public foncier d’Île-de-France le 26 avril 2011 et modifiée par des avenants du 8 décembre 2013 et du 4 décembre 2015, elle se borne à identifier le secteur des Alouettes comme un secteur cible sans toutefois apporter de précision particulière, si ce n’est dans sa partie nord, laquelle, ainsi qu’il a été dit plus haut, ne comprend pas la parcelle concernée. Enfin, la délibération du conseil territorial de l’établissement public territorial Paris Est Marne et Bois du 14 février 2018 se borne à relever, sans plus de précision, que la commune poursuit sa volonté de maitriser le développement urbain du quartier des Alouettes et notamment du secteur de la Pointe, et qu’une première série de programmes mixtes bureaux/logements/commerces est en mesure d’être lancée en attendant une seconde phase selon les décisions liées à la ligne 1 du métro. Ces documents ne faisant pas apparaître la nature du projet, il en résulte que la décision n’est pas suffisamment motivée » (CAA Paris, 19 mai 2022, SCI B, req. n° 21PA05433).
Renouvellement urbain : « 4. La décision du 2 septembre 2019 par laquelle la commune de Mantes la Jolie a exercé le droit de préemption qui lui a été délégué par la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise le 14 août 2019 précise que « l’immeuble présente un intérêt au titre du e du renouvellement urbain et plus particulièrement de la redynamisation du centre-ville, » et que « l’opportunité de maîtrise foncière a lieu d’être saisie pour permettre à la rue Gambetta, centre névralgique mantais, de connaître une transformation profonde dans ses usages dans le cadre du réaménagement et de la piétonisation du centre-ville ». Par ces seules mentions, cette décision ne fait pas apparaître la nature du projet d’aménagement envisagé par la collectivité ainsi qu’elle y était tenue, et ce quand bien – même les caractéristiques précises dudit projet n’auraient pas été définies à cette date. En outre, si la commune se prévaut de la signature de la convention cadre pluriannuelle « Action cœur de ville » avec la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise, l’Etat, la caisse des dépôts et consignations, action logement et l’agence nationale de l’habitat et de la délibération du 2 juillet 2018 autorisant le maire à signer ladite convention, la décision en litige n’a ni visé ni fait référence à ces deux textes et n’a donc pas mis en mesure ses destinataires de déterminer la nature de l’action ou de l’opération d’aménagement que la collectivité publique entend mener au moyen de cette préemption. Il suit de là que la commune n’est pas fondée à soutenir que la décision du 2 septembre 2019 était suffisamment motivée, et donc que c’est à tort que les premiers juges ont retenu ce motif pour annuler les décisions litigieuses » (CAA Versailles, 28 juin 2022, commune de Mantes-la-Jolie, req. n° 21VE03350).
Benoît Jorion
Avocat à la Cour d’appel de Paris
Spécialiste en droit public