Quelle possibilité de préempter un bien grevé d’un bail à construction ?
Un bail à construction est défini par l’article L. 251-1 du code de la construction et de l’habitation comme « le bail par lequel le preneur s’engage, à titre principal, à édifier des constructions sur le terrain du bailleur et à les conserver en bon état d’entretien pendant toute la durée du bail. » Ainsi que le précise l’article L. 251-2 du même code, « les parties conviennent de leurs droits respectifs de propriété sur les constructions existantes et sur les constructions édifiées. A défaut d’une telle convention, le bailleur en devient propriétaire en fin de bail et profite des améliorations ».
Le principe est donc que le preneur construise et que, à terme, le bailleur en bénéficie. Mais, rien n’interdit que le bailleur vende son bien, y compris au preneur. Dans ce cas, le prix de vente du bien tient nécessairement compte de l’existence du bail. C’est ce qui s’est passé en l’espèce. Deux sociétés étaient titulaires d’un bail à construction qui prévoyaient une promesse de vente à leur profit réalisables à la fin du bail. Ces sociétés ont souhaité acquérir le bien immobilier. La commune a préempté au prix de la cession et ses décisions ont été déférées à la censure de la juridiction administrative.
Le Conseil d’Etat, confronté à la question inédite de la possibilité de préempter un bien grevé d’un bail à construction a estimé, de façon incontestable, que, faute pour de tels biens d’être expressément exclus de la liste des biens pour lesquels le droit de préemption n’était pas applicable (art L. 213-1 du code de l’urbanisme), ce droit s’appliquait par principe. Toutefois, pour le Conseil d’Etat, « lorsque la préemption est exercée à l’occasion de la levée, par le preneur, de l’option stipulée au contrat d’un bail à construction lui permettant d’accepter la promesse de vente consentie par le bailleur sur les parcelles données à bail, elle a pour effet de transmettre à l’autorité qui préempte ces parcelles la qualité de bailleur et, ce faisant, les obligations attachées à cette qualité, parmi lesquelles celle d’exécuter cette promesse de vente. »
Ce rappel conduit le Conseil d’Etat à poser que « la décision de préemption (…) ne pouvait permettre de satisfaire à la nécessité, résultant de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme, d’être exercée en vue de la réalisation d’une action ou opération d’aménagement ou, comme elle le mentionnait en l’espèce dans ses motifs, de la constitution d’une réserve foncière pour la réalisation d’une telle action ou opération. »
Traditionnellement, il n’est pas tenu compte, pour apprécier la légalité de la décision de préemption, des engagements de l’acquéreur (CE, 3 décembre 2007, commune de Saint-Bon Tarentaise, req. n° 306949, publié au recueil). Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat va être sensible, non aux stipulations de la promesse de vente, stipulations que toute décision de préemption bafoue, mais aux stipulations du contrat de bail à construction. Ce dernier fixe un équilibre financier qui tient nécessairement compte des obligations de construction du preneur, du montant du loyer, de la durée du bail et de l’obligation ou non de vente du bailleur au preneur.
Il est donc certain que le prix de cession du bien ne reflète pas la valeur du bien mais le résultat de cet équilibre. Préempter au prix de cession serait nécessairement spoliateur pour le preneur-acquéreur. Ce n’est toutefois pas l’équilibre financier du bail à construction qui est mis en avant par le Conseil d’Etat dans son arrêt, mais une espèce de syllogisme : Le bailleur est contractuellement tenu de vendre au preneur ; la commune en préemptant devient bailleur et doit respecter le contrat ; la commune devenue propriétaire devrait donc vendre au preneur et ne pourrait donc mener à bien son projet d’action ou d’opération
La vente d’un bien grevé d’un bail d’habitation ou d’un bail commercial n’interdit pas la préemption, le projet pouvant être réalisé à terme. Il n’en va pas de même pour un bail à construction. De façon inédite, cet arrêt est donc à l’origine d’un montage qui permet d’échapper au droit de préemption. Seule l’intervention du législateur soumettant la conclusion d’un bail à construction à une possible préemption permettrait de revenir sur cette possibilité (CE, 19 avril 2022, commune de Mandelieu La Napoule, req. n° 442150, mentionné aux tables).
Benoît Jorion
Avocat à la Cour d’appel de Paris
Spécialiste en droit public