La responsabilité sans faute au profit du vendeur peut être engagée en matière de droit de préemption

Le Conseil d’État avait précédemment expressément écarté la possibilité de se placer sur le terrain de la responsabilité sans faute pour engager la responsabilité d’une commune à la suite de l’exercice de son droit de préemption (CE, 7 mai 1986, SA Etudes Malesherbes, tab. p. 758).

Sans doute pour la première fois, le Conseil d’État vient d’admettre l’indemnisation du vendeur d’un bien immobilier sur le terrain de la responsabilité sans faute. Il faut dire que, après l’exercice par une commune de son droit de préemption, cette dernière, au vu du prix fixé par le juge de l’expropriation, a renoncé à poursuivre l’acquisition du bien. Ce dernier, atypique, squatté entre-temps, a fini par être vendu à seulement 40% du prix auquel il devait être cédé initialement.

Dans ces circonstances bien particulières, le Conseil d’État a posé : « 3. Dans ces conditions, la société Immotour a subi, du fait des décisions de préemption et de renonciation de la commune de Saverne, un préjudice grave, qui a revêtu un caractère spécial et doit être regardé comme excédant les aléas ou sujétions que doivent normalement supporter des vendeurs de terrains situés en zone urbaine, sans que d’autres circonstances, notamment le fait que la société n’ait mis en place un dispositif de gardiennage de l’immeuble qu’à compter de septembre 2013, soient de nature, dans les circonstances particulières de l’espèce, à écarter totalement la responsabilité de la commune. Par suite, la cour administrative d’appel n’a pu, sans entacher son arrêt d’une erreur de droit, s’abstenir de relever d’office le moyen tiré de ce que la responsabilité sans faute de la commune était engagée à l’égard de la société Immotour, alors qu’il ressortait des pièces du dossier soumis au juge du fond que les conditions d’une telle responsabilité étaient réunies. Son arrêt doit, dès lors, être annulé en tant qu’il écarte la responsabilité sans faute de la commune de Saverne. » (CE, 13 juin 2022, société Immotour, req. n° 437160, mentionné aux tables).

Benoît Jorion
Avocat à la Cour d’appel de Paris
Spécialiste en droit public